Deux rapports récents sur des études quantitatives apportent un éclairage sur les connaissances et attentes des populations africaines sur le Covid-19, les mesures de prévention et la vaccination.
Depuis un an nous voyons fleurir des articles et des plateformes qui prétendent fournir des informations sur l’opinion sur le Covid-19, mais qui sont généralement fondés sur des collectes automatiques de données récoltées sur les réseaux sociaux, avec un énorme biais de recrutement. Un des meilleurs exemples : la plateforme KAP de l’université Johns Hopkins, dont les résultats sont périodiquement partagés lors de wébinaires organisés conjointement avec l’OMS. Les données sont recueillies sur FaceBook (premier biais), auprès de gens recrutés par annonce (deuxième biais) et diverses questions sont une auto-évaluation des comportements (troisième biais). Comment oser obtenir ainsi des données sur la population ?
Menées sur le terrain, en face-à-face, selon les règles de l’art, auprès d’échantillons représentatifs de la population ces deux études fournissent des résultats objectifs et fiables et dressent un tableau complexe, parfois marqué par des contradictions, des représentations de la population.
Connaissance du Covid-19 et de sa prévention
Le premier de ces rapports est celui d’une enquête socio-anthropologique que j’ai coordonnée en octobre 2020 au Cap Vert, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, en Guinée Bissau et en Sierra Leone, à la demande de l’Organisation Ouest Africaine de la Santé (OOAS), avec le soutien d’Expertise France, pour fournir les bases d’une nouvelle stratégie de communication adaptée, un an après le début de la pandémie.
Cette étude met en évidence une excellente connaissance de certains aspects du Covid-19 et d’importantes lacunes sur d’autres :
– La quasi-totalité de la population a entendu parler du coronavirus (95,2 % à 99,5 % selon les pays) et la majorité dit savoir ce qu’est un virus (65,5 % à 86,7 %).
– Les principaux symptômes du Covid-19 sont très largement connus, à l’exception de la perte du goût et de l’odorat.
– La quasi-totalité de la population connaît les gestes barrières (94 à 99,45 % selon les pays) et une grande majorité pense qu’ils sont utiles pour la prévention du Covid-19 (75,86 % à 98,11 %). Ce n’est donc pas un manque d’information qui expliquerait le fait que ces gestes soient très peu respectés.
– La grande majorité ignore que des personnes asymptomatiques peuvent transmettre le coronavirus (3,2 % à 39,7 % seulement ont répondu qu’une personne non-malade peut transmettre le virus), ce qui est probablement l’une des explications du non-respect des gestes barrières, qui ne seraient utiles qu’en présence de malades du Covid-19.
– La grande majorité de la population pense qu’elle risque de contracter le Covid-19 en se rendant dans un centre de santé (41 % à 92,5 %).
– Les facteurs de risque de formes graves du Covid-19 sont insuffisamment connus.
L’acceptation de la vaccination
La seconde étude a été menée à la demande d’Africa CDC dans quinze pays du continent, de septembre à décembre 2020. Quand cela était possible, nous en avons extrait les données concernant les six pays d’Afrique de l’Ouest et Centrale (Burkina Faso, Côte d’Ivoire, RDC, Niger, Nigeria, Sénégal).
Cette étude confirme que la majorité des personnes sait que le Covid-19 est causé par un virus (66 % en moyenne sur les 15 pays).
L’intention de se faire vacciner est : RDC 59 %, Sénégal 65 %, Gabon 67 %, Côte d’Ivoire 71 %, Burkina Faso 86 %, Niger 93 %.
Ces données indiquent cependant l’intention de se faire vacciner au moment de l’enquête, ce qui ne se traduira pas automatiquement en vaccination réelle, le moment venu. En effet 69,2 % de la population des six pays pense que la menace du coronavirus est « exagérée » ou « très exagérée » (de 60 % au Burkina Faso à 79 % au Niger et au Sénégal), ce que nous pouvons rapprocher des résultats de l’enquête OOAS selon laquelle l’écrasante majorité ignore que le virus peut être transmis par une personne en bonne santé. Si la menace n’est pas réelle, pourquoi se faire vacciner ?
La France est un exemple des fluctuations de l’intention de se faire vacciner. La proportion de personnes disant qu’elles se feraient vacciner est passée de 61 % en juillet 2020 à 40 % en décembre, puis 57 % en février 2021.[1] L’intention de se faire vacciner peut être positivement influencée par l’observation des effets positifs de la vaccination, mais négativement par le sentiment que des motifs politiques ou financiers sont le moteur de la campagne de vaccination, ou par la crainte d’effets secondaires réels, exagérés ou imaginaires.
Les rumeurs sur des motifs mercantiles ou politiques sont réelles en Afrique. 49 % de la population des 15 pays de l’enquête pense que le Covid-19 a été « planifié par un acteur étranger » et 45 % que « les africains sont utilisés comme cobayes pour des essais vaccinaux ».
Selon les deux études, la première source d’information sur le Covid-19 est, selon les pays, la télévision ou la radio, les réseaux sociaux venant derrière.
Des leçons à tirer
Faire prendre conscience de la présence réelle et du danger que représente le Covid-19 est une priorité pour amener la population à respecter les gestes barrières et se faire vacciner, en veillant à ne pas exagérer les risques et à tenir un langage de vérité pour éviter d’alimenter les rumeurs sur des intentions mercantiles ou politiques. La connaissance du coronavirus est un appui pour expliquer que l’infection est souvent invisible. Enfin, les perceptions sur la vaccination doivent être évaluées régulièrement et rapidement communiquées.