J’inscris mon travail de communication et de sensibilisation en #santepublique dans une démarche de « culture en santé », traduction que je propose pour « #healthliteracy ». Explications.
Health literacy… quasiment inconnue en France
50 à 60 articles paraissent chaque mois sur la health literacy, dont très peu en français et quasiment aucun en France. Harvard lui consacre un laboratoire, l’académie de Médecine américaine un forum, la Commission européenne un projet, des colloques en ont débattu… on cherchera vainement un seul lieu de réflexion sur cette approche dans notre pays. De nombreux programmes de santé publique l’utilisent aux USA, en Grande-Bretagne, au Canada et en Australie, mais aussi en Allemagne, en Suisse, en Belgique et dans d’autres pays européens. En France, Santé Publique France et des organismes régionaux y font référence depuis quelques années, mais sans que le cadre conceptuel ne soit, à ma connaissance, analysé et son application, évaluée.
La health literacy est définie ainsi : « Cognitive and social skills which determine the motivation and ability of individuals to gain access to, understand and use information in ways which promote and maintain good health[1] ». Que je traduis par : « Compétences intellectuelles et sociales qui déterminent la motivation et la possibilité qu’ont les personnes à obtenir, comprendre et utiliser l’information de façon à favoriser et conserver une bonne santé ».
Une efficacité démontrée
La prise en compte de la health literacy s’est imposée à une époque de montée des maladies chroniques, maladies dont le traitement nécessite l’adhésion des malades et la prévention, la sensibilisation de la population. C’est la « base d’une nouvelle approche de la santé », estiment les suisses Stutz Steiger et Spycher[2].
De nombreux articles ont évalué le rapport entre la health literacy et l’efficacité de la prévention ou des traitements du diabète, de certains cancers ou de l’hypertension, par exemple, ainsi que son rapport avec la fréquence et la durée des hospitalisations. Aux Etats-Unis, les conséquences financières d’un faible niveau de health literacy ont été estimées entre 106 et 238 milliards de dollars par an, tandis que les auteurs suisses cités estiment à 1,5 milliard de francs (1,27 million d’euros) le surcoût global pour leur pays[3].
Mots et concepts
Des acteurs de la santé français traduisent health literacy par « littératie en santé », le néologisme « littératie » désignant la capacité à lire et écrire. Cette traduction oublie que les compétences considérées ne sont pas seulement individuelles mais aussi sociales. Un concept se juge à son utilité. Quelle est l’utilité de la « littératie en santé » quand on travaille avec des populations illettrées, pour comprendre pourquoi le vaccin contre la polio est rejeté par certaines communautés dans des pays du Sud, ou encore réfléchir à la communication sur Ebola quand des équipes soignantes sont agressées ?
Hélas, l’importation en France de la health literacy a ainsi tendance à lui faire perdre en efficience, la ramenant à une aide pour la conception de programmes d’éducation thérapeutique ou l’élaboration de campagnes d’information, même si c’est déjà là une réaction appréciable contre des pratiques verticales de la communication vouées à l’échec.
La démarche de « culture en santé » se fonde sur une analyse des compétences intellectuelles et sociales des individus pour concevoir une communication et une sensibilisation destinées à modifier leurs comportements, ce qui est généralement l’objectif en santé publique (adopter des règles d’hygiène, faire de l’exercice, adhérer à un traitement, faire vacciner ses enfants…).
Les sciences humaines et sociales à l’ordre du jour
Dans le domaine qui est le mien, une démarche de culture en santé c’est, pour simplifier, s’appuyer sur les sciences humaines et sociales pour concevoir un programme de communication ou sensibilisation. Les sciences humaines et sociales ne disent pas ce qu’il faut faire. Elles livrent à l’analyse des données objectives, pour construire une « evidence-based » communication, si on m’autorise le détournement d’une expression en vogue en médecine.
Mon travail en santé publique se décompose ainsi en trois phases :
- Etude anthropologique, sociologique ou socio-anthropologique de la population cible.
- Analyse des résultats et formulation d’une stratégie de communication et de sensibilisation.
- Production de plans et d’outils de communication et de sensibilisation.
L’importance de la culture en santé
Bien des échecs de programmes de santé auraient été au mieux évités et au minimum limités, bien des programmes auraient été plus efficaces s’ils avaient été conçus avec une approche de culture en santé, au lieu d’être élaborés de façon verticale. Trois exemples.
L’éradication de la poliomyélite, décidée par l’OMS en 1988, devait être obtenue en 2000. Après avoir successivement repoussé l’objectif, l’OMS ne fixe plus de date. Il existe pourtant deux vaccins complémentaires et efficaces et des moyens gigantesques ont été mobilisés. L’échec est dû à la résistance de la population dans deux régions du monde, le nord du Nigéria et une zone en Inde, Pakistan et Afghanistan. Des intégristes musulmans détournent aujourd’hui cette résistance à leur profit, mais elle leur est antérieure.
En 2009, le gouvernement français avait décidé que 75 % de la population du pays seraient vaccinés contre la grippe H1N1. 8,5 % l’ont été. La couverture vaccinale annuelle contre la grippe a baissé et n’a toujours pas retrouvé son niveau de 2008. Là aussi, la raison réside dans les réticences de la population, alimentées par une accumulation d’erreurs de conception de la campagne de vaccination, puis de communication.
Chaque épidémie de maladie à virus Ebola est marquée par les doutes, la méfiance et l’hostilité des populations. Des anthropologues sont mobilisés pour proposer des rites funéraires respectant les cultures tout en prévenant l’infection des proches de la personne décédée, mais l’analyse de la culture en santé n’est pas le fondement de la communication. Alors que pour stopper une épidémie il suffirait que les cas soient signalés rapidement et que des mesures de prévention simples soient appliquées, ce qui demande l’adhésion des communautés, des erreurs de conception des interventions sanitaires et de communication heurtent ces communautés.
En santé, le doute peut mener à la méfiance et la méfiance, à l’hostilité. Le passage de l’un à l’autre est parfois rapide. Revenir en arrière est toujours très difficile. L’approche de culture en santé consiste, notamment, à évaluer ou anticiper les doutes non seulement pour leur apporter des réponses mais, surtout, pour adapter les programmes afin que ces doutes ne deviennent pas méfiance. Elle ne garantit bien sûr pas les erreurs, mais elle est la meilleure approche pour concevoir des programmes de communication et sensibilisation efficaces.
Vidéo sur des applications de cette démarche dans des programmes menés en Afrique (21 minutes)
[1] Nutbeam D., « Health literacy as a public health goal: a challenge for contemporary health education and communication strategies into the 21st century », Health Promotion International, vol. 15, n° 3, pp. 259-267. OMS, 7ème Conférence mondiale sur la promotion de la santé, 2009.
[2] Stutz Steiger T. et Spycher S., « La culture sanitaire, base d’une nouvelle approche de la santé », La vie économique, 12-2006, pp. 14-16.
[3] Vernon J.A. et coll., « Low Health Literacy: Implications for National Health Policy », 2007, Department of Health Policy, School of Public Health and Health Services, The George Washington University.
Pingback: Ebola : les erreurs se répètent | blog bnscommunication